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Maelig
19 octobre 2010

Le Groupe Manouchian

Samedi dernier, j'ai vu le film de Robert Guédigan, l'armée du Crime, sorti l'année dernière au cinéma. Il retrace le destin de résistants, organisés en un groupe que l'Histoire a retenu sous le nom de Groupe Manouchian.

affiche_rougeTous étaient sympathisants ou militants communistes. La plupart d'entre eux était d'origine juive, de Hongrie, quelques uns, dont leur chef, Isaak Manouchian, étaient rescapés du génocide arménien. Ils n'étaient pas nés en France, ils étaient souvent orphelins et avaient connu des jeunesses difficiles. Mais ils avaient gardé en eux suffisamment de force pour intégrer la Résistance.

Le Groupe Manouchian était l'un des rares à pratiquer l'action directe. Autrement dit, ils tuaient. Ils lançaient des bombes, ils exécutaient des soldats allemands d'une balle dans la tête. Il est vrai que les Résistants étaient loin d'être des enfants de choeur. Ils étaient des hommes, qui vivaient dans un monde de violence et assumaient son utilisation.

Parmi eux, Isaak Manouchian. Né en 1906, rescapé du Génocide Arménien, il s'est réfugié avec son frère dans un orphelinat en Syrie. Son frère y est mort. A 19 ans, il arrive en France, à Marseille et trouve un emploi d'ouvrier. Plus tard, à Paris, il fonde deux revues littéraires et s'engage au Parti Communiste. Il éprouve une vraie soif de culture, aussi dévore-t-il les livres et devient-il poète.

En 1941, il est arrêté comme résistant communiste, emprisonné dans un camp puis libéré quelques mois plus tard, faute de preuves. A son retour en région parisienne, le Parti organise les débuts du Groupe, et Manouchian est choisi comme chef. Il donnera son nom au réseau. Pacifiste dans l'âme, il apprend à se servir d'une arme et de bombes au sein du réseau. Au final, il dirigera de nombreuses actions armées.

A ses côtés, Marcel Rayman, né en 1924, juif hongrois arrivé en France à l'âge de huit ans. Lui aussi est ouvrier, et sportif. Il participe à de nombreuses manifestations sportives et culturelles, et remporte un championnat de natation. Il a pour tâche de former les nouveaux arrivants du Groupe aux techniques de guérilla, qu'il maîtrise à la perfection. Marcel est très proche de son jeune frère Simon, 14 ans, qui participe au Groupe comme agent de liaison.

Thomas Elek est une des autres figures majeures du réseau. C'est un juif hongrois, dont la famille est arrivée en France en 1930. Ses parents sont restaurateurs et sympathisants communistes. Sa première action a lieu en 1942, alors qu'il est lycéen en classe de seconde au Lycée Louis le Grand : il pose une bombe cachée dans un vieux livre, pour l'inauguration d'une librairie ancienne où se trouvent de nombreux soldats allemands.

En 1943, ils participent tous à l'exécution de Julius Ritter, un dignitaire SS. Grâce à leur action, les soldats allemands, qui se croyaient jusqu'alors invincibles, ont cessé de se pavaner dans les rues de Paris et se sont faits discrets. Néanmoins, je me suis demandé si les SS n'exécutaient pas des otages innocents après chaque attentat. Le film ne répond pas à cette question. Et si cela a été le cas, comment le Groupe le vivait-il ?

J'imagine que ces hommes devaient se dire que leur action symbolisait une France en rébellion, une France révoltée contre l'Occupant. Ils avançaient des pions sur leur jeu, jusqu'à la victoire finale. De plus, ils inquiétaient les Allemands. Néanmoins, cette situation ne devait pas être facile à assumer pour eux, qui étaient des hommes de bien.

En fait, si l'on y réfléchit, la période de l'Occupation a été la seule dans l'histoire moderne où la violence a été justifiée, légitimée, au regard de l'Histoire. Lors des nombreuses périodes troublées qui ont émaillé notre Histoire, la violence a été très (trop) souvent employée. Elle était justifiée par le patriotisme, ou par des théories politiques (la Révolution Française et les autres Révolutions qui ont suivi, la Grande Guerre, la Révolution Russe, le régime stalinien, les régimes totalitaires du XXème siècle : en Chine, au Cambodge.....). En réalité, toutes les violences justifiées par des théories politiques sont aujourd'hui considérées par nos regards modernes comme inacceptables : depuis les Guillotinés de la Terreur jusqu'aux victimes du goulag.

Ce qui fait de la violence des Résistants un cas particulier, c'est sûrement le fait qu'ils n'obéissaient pas à des théories politiques mais simplement réagissaient à des faits concrets : l'inhumanité de l'Occupant qui tuait, pillait, déportait, la peur qui rodait partout, les théories raciales.....

Ma réflexion est très philosophique : qu'est-ce qui peut justifier la violence ? Et comment accepter de donner la mort alors qu'on n'a pas l'âme d'un assassin, qu'on est jeune, qu'on a envie d'aimer, de vivre, d'apprendre ? C'est toute la problématique des Justes, d'Albert Camus, retraçant le destin des révolutionnaires communistes ayant assassiné le tsar Alexandre II. Nombreux ont été ceux qui ont cru que leur violence pouvait se justifier, mais en réalité, seule l'Histoire a pu révéler la véritable nature de leur action.

Leur cran n'a pas été récompensé : arrêtés en novembre 1943, 23 membres du Groupe Manouchian ont été jugés le 19 février 1944 et 22 ont été fusillés au Mont Valérien le 21 février suivant. La seule femme du groupe, Olga Bancic, a été déportée en Allemagne, à Stuttgart, où elle a été décapitée le 10 mai, jour de son 32ème anniversaire.

Les Allemands ne leur avaient accordé un simulacre de procès que pour mieux les discréditer dans l'opinion publique où ils ont été présentés comme des terroristes purs et simples. Une affiche de propagande, l'Affiche Rouge, représentant 10 des 23 condamnés, est demeurée dans l'Histoire. Néanmoins, la propagande aura échoué : l'opinion publique française a compris que ces jeunes gens étaient des patriotes et non pas des terroristes. 

Louis Aragon a immortalisé leur histoire dans son poème : l'Affiche Rouge, mis en musique et interprété par Léo Ferré.

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