Une rencontre explosive

1930, Buenos Aires. Debout à la fenêtre, une cigarette à la main, il fixait l'élégante jeune femme qui longeait l'allée, vers le château, et ne put retenir un sifflement admiratif. Une petite tête fièrement dressée, une chevelure noire de jais et une allure à faire pâlir de jalousie les girls des music halls dont il était expert. Vaindieu, quelle prise !

-" Benjamin !" appela-t-il, doucement. "Renseigne moi : qui est cette femme ?"

Benjamin Crémieux, professeur d'université, donnait en ce moment une série de conférence à Buenos Aires. En cette fin d'été, il aimait inviter ses nombreux amis à se reposer dans la belle demeure qu'il louait à l'écart de la ville.

-"Consuelo Suncin. Elle est salvadorienne, et c'est une personnalité parmi les invités. La trentaine, déjà deux fois veuve, et un caractère de feu. Elle te plaît, dis ? Oh, Antoine, réponds !!"

St Exupéry, le regard dans le vague, hocha la tête, puis sourit à son vieux compagnon.

-"Présente la moi !"

Une demi heure plus tard, Consuelo avait accepté un petit vol à bord du  vieux coucou d'Antoine. Son premier vol, avait-elle précisé. Ils avaient gaiement bavardé en allant à l'aérodrome, et maintenant que la jeune femme s'extasiait sur le paysage, Antoine se sentait le roi des pilotes de ligne.

Avant de partir, il avait interrogé Benjamin sur le passé de la jeune femme, veuve à 22 ans d'un militaire mexicain, et à 29 ans d'Enrique Gomez Carillo, un ami d'Oscar Wilde. Elle était à la fois exotique et cultivée, un peu trop passionnée peut être, l'avait doucement prévenu son ami. Mais Antoine n'en était déjà plus à entendre les conseils trop sages.

De son côté, Consuelo était plus que flattée d'avoir retenu l'attention d'un tel homme. La réputation d'Antoine de St Exupéry, à la fois comme écrivain et comme pilote, n'était plus à faire. Il était directeur de l'Aéropostale Argentine, et venait d'atteindre la célébrité avec la publication de Vol de Nuit , l'année précédente. Oui, décidément, le personnage lui plaisait, à la fois sûr de lui et d'une sensibilité à fleur de peau. Très sensuelle, elle ne cherchait d'ailleurs pas à se cacher l'attrait qu'il exerçait sur elle. Le regarda, sourit.

-"Embrassez moi" fit il quand elle tourna son visage vers lui.

-"PARDON ? J'ai dû mal entendre !"

-"Embrassez moi", répéta-t-il plus fort, le cœur battant. Et si elle le trouvait ridicule ? "Ou nous allons nous écraser. Je ne plaisante pas," continua-t-il, devant son silence. "Si vous ne m'embrassez pas, je fais plonger l'avion."

Elle partit d'un grand rire silencieux, et posa sur la joue d'Antoine un léger baiser. Il tressaillit.

"Mieux que ça", reprit il, un large sourire aux lèvres. Ce fut lui qui se pencha pour prendre les lèvres de Consuelo, en une étreinte passionnée. L'appareil piqua du nez, la jeune femme cria et s'agrippa au cou d'Antoine.

"Nous allons mourir !"

Reprenant rapidement les commandes, il fit reprendre au coucou sa trajectoire normale, et bientôt se posa sur le petit aérodrome provençal. Mourir ! Allons, il était meilleur pilote que ça, songea-t-il avec un naïf orgueil. Sitôt à terre, il reprit les lèvres de Consuelo.

"Puisque nous sommes encore en vie, profitons en…."