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Maelig
21 mai 2009

La mort est mon métier

J'avais déjà lu ce livre, mais il m'a une fois de plus bouleversée. Comme vous devez le savoir, il s'agit de 180px_Rudolf_H_C3_B6_C3_9Fl'autobiographie romancée de Rudolf Hoess, dénommé Lang dans ce livre, de Robert Merle. L'auteur s'attarde sur la psychologie du nazi et les raisons qui ont pu l'amener à commettre de tels actes.
Les explications sont de deux ordres, personnelles et collectives.
La psychologie de Hoess explique bien des choses. Elevé par un père fanatique religieux, il n'a retenu de son enfance que l'importance de se soumettre aux ordres et de faire son travail "à fond". Son père s'imaginait avoir commis un crime qui l'obligeait à prendre sur ses épaules les péchés de ses enfants en plus des siens. En désobéissant à son père, le jeune garçon était intimement persuadé causer sa mort. En revanche, ses capacités de sociabilité ont été totalement annihilées, puisqu'il n'a reçu que peu de marques d'amour. Toute sa vie, il va se fondre dans le rôle du bon élève, pour qui l'obéissance est la valeur suprême. Inconsciemment, il s'imagine sûrement que c'est le seul moyen de recevoir un peu d'amour, d'avoir le sentiment d'exister aux yeux de ses supérieurs. Il ne se pose sûrement pas la question, il obéit parce que cela l'enferme dans une routine qui le rassure. L'ouvrage relate ses malaises physiques, dès l'adolescence, lorsqu'il s'éloigne de ses habitudes. Plongé dans l'insécurité par son éducation, il se rassure par la régularité de ses actes quotidiens. C'est pourquoi il aimera tellement la routine de l'armée, qui le rassure.

Mais il n'était pas le seul, alors, à avoir cet état d'esprit. Des milliers d'Allemands ont partagé son délire collectif. Hoess était plongé dans une hystérie collective. L'humiliation causée par la défaite lors de la Première Guerre Mondiale avait bouleversé l'Allemagne qui se sentait bafouée en tant que nation. Il n'y avait plus d'armée, la monnaie était dévaluée, c'était la crise économique.... Des milliers de travailleurs erraient sans pouvoir manger à leur faim tous les jours.... Hoess (ou Lang) a fait partie de leurs rangs à sa démobilisation. Pour survivre à la misère, il s'est réfugié dans le nationalisme. Son cher pays, si malmené, allait bien entendu renaître de ses cendres. Pour cela, il fallait se méfier de l'Ennemi, le Diable en personne : j'ai nommé le Juif. L'Allemagne d'alors voulait exterminer les juifs pour éviter d'être exterminée. Ce peuple, encore traumatisé par sa défaite en 1918, cédait au dogme de la peur. Il utilisait le juif comme bouc émissaire, divisait la société en deux catégories : l'Allemand Aryen (le bien) / le Juif (le mal). C'est seulement en détruisant le mal qu'il était possible d'accéder au bien, de se sentir exister et légitimer en tant que nation. Hoess adhérait bien évidemment complètement à ce schéma, de manière absolue, naïve. Il ne considérait pas ses croyances comme une opinion mais comme une vérité absolue. Il ne se lançait pas dans la discussion puisqu'il n'imaginait pas qu'on puisse ne pas partager son idée. Il ne se serait d'ailleurs pas permis d'avoir des idées : il ne faisait qu'obéir aux ordres. De plus, il devait au Parti Nazi son ascension sociale, comme la majorité des dignitaires d'alors.

Pour tenter d'expliquer, on peut évoquer l'étude de  Stanley Milgram en 1974 sur la soumission à l'autorité. Des cobayes sélectionnés au hasard étaient amenés dans une pièce où ils voyaient quelqu'un assis sur une chaise électrique. On leur donnait l'ordre d'allumer l'électricité, en modulant le nombre de volts. Une majorité de personnes est allée jusqu'à décharger dans le corps de la victime un grand nombre de volts lorsqu'on leur en donnait l'ordre un peu rudement. Le but était de déterminer où se termine la soumission à l'autorité et où commence la responsabilité individuelle.
On peut aussi souligner la fragmentation des tâches effectuée par les nazis. Ainsi, personne n'avait une vision d'ensemble de ce qui était en train de s'accomplir. Le statisticien de la solution finale le rappelle sèchement dans l'oeuvre de Robert Merle : il ne s'intéresse qu'aux chiffres, le côté pratique de la chose ne l'intéresse pas. Là encore, il s'agit d'un processus psychologique de dilution des responsabilités.

Ces éléments d'explication sur la mentalité des criminels nazis éclairent mais demeurent insuffisants pour nous permettre de les comprendre. Les idées s'enchaînent, cohérentes, mais il manque un élément essentiel : malgré tout cela, comment arrive-t-on à ne pas comprendre qu'on est en train d'attenter à la vie de millions de personnes ? Le nazisme, c'est la banalisation de l'horreur, le "bourreau ordinaire". Le nazi est quelqu'un d' "ordinaire qui ne fait que son travail". C'est en tout cas la défense de tous les condamnés du procès de Nuremberg.

Comme dit Robert Merle, c'est justement à cause de sa psychologie presque ordinaire qu'il devient monstrueux. "Je n'ai tué personne, j'étais juste le directeur du programme d'extermination d'Auschwitz." Cette phrase atroce résume tout.

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Commentaires
A
Atroce effectivement. Ce que je te disais sur le film La vague rejoint ce que tu dis ici, mais je relis ton blog à l'envers alors mes commentaires sont décousus... :)
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