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Maelig
14 septembre 2014

la Vénus Noire

 

Le mois dernier, a été diffusé "La Vénus Noire", film d'Abdelatif Kechiche, inspiré de l'histoire vraie de Saartjie Baartman, jeune Sud Africaine exposée dans les foires européennes au début du 19ème siècle. Née en 1789 aux abords de la Gamtos River, au sein du peuple Khoikhoi, née esclave, elle est venue à Londres en 1810. C'est son ancien patron, un Afrikaaner, qui l'aurait convaincue de le suivre, en lui faisant miroiter une carrière dans le monde du spectacle et une association lucrative, au terme de laquelle elle pourrait retourner vivre, riche et libre, dans son pays.

En réalité, les "spectacles" consistaient en une exhibition pornographique de l'anatomie de la jeune femme, inconnue alors en Europe. Saatjie (petite Sarah en Afrikaaner) n'a jamais pu exploiter ses talents naturels pour la danse, et la musique (elle pouvait reproduire à l'identique n'importe quelle mélodie entendue, à l'aide d'une petite harpe). Nue, enfermée dans une cage, elle était assimilée à un animal en cage, domptée par un Européen qui faisait payer un public populaire, puis aristocratique, pour pouvoir la toucher.

En dehors des moments sur scène, elle apparaît comme plus libre, certes, mais comme une femme abasourdie par la cruauté de son expérience, et qui noit son chagrin dans l'alcool. Elle n'a pas d'amis ni de soutien, à l'exception de jeunes esclaves africains qui l'entourent discrètement, puis, brièvement, d'un jeune naturaliste français qui la traite avec respect.

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A Londres, toutefois, si la foule populaire gronde au délire, des hommes plus cultivés, membres d'associations abolitionnistes, font comparaître son "propriétaire" devant un tribunal. Saartjie est pour la première fois amenée à s'exprimer, elle raconte sa vie commune avec un homme dont elle aurait eu un fils, mort en bas âge, puis la fuite sans retour de son compagnon. Son existence de domestique, interrompue à son arrivée en Europe. Elle est confrontée à un choix : abonder dans le sens des accusateurs en expliquant le drame qu'elle vit, ou bien faire semblant de croire (ou croire réellement ?) qu'elle est une associée, une partenaire, une artiste, comme le plaide son tourmenteur.

Parce qu'elle choisit l'absence de risque, qu'elle clame comme elle peut qu'elle est une artiste, que, par contrat, elle a droit à 50% des recettes, elle s'attire les foudres d'une foule qui, a priori, aurait pourtant dû lui être amicale.

A Paris, elle rencontre un public plus aristocratique, mais qui arbore à son égard la même attitude que les populations pauvres. Peut être certes moins violente, mais aussi ignorante de la différence. Elle est ensuite contrainte à la prostitution par Réaux, un montreur d'ours marié à Jeanne, une prostituée, puis soumise à inspection par des "scientifiques" à l'esprit détraqué qui entreprennent de l'identifier comme "authentique" hottentote.

Le film est académique, soigné, léché. Les reconstitutions sont parfaites, centrées sur le personnage de Saartjie, et exprimant subtilement sa souffrance. Les scènes en sont tellement parfaites qu'elles en deviennent d'ailleurs presque ennuyeuses, d'autant plus que le film est long (2 heures 40).

 C' est dérangeant pour le spectateur qui s'identifie à la fois à la jeune femme et à la fois au public surpris, car comme les autres, il regarde Saartjie nue les trois quarts du film.

On s'indigne de l'horreur de la première scène où l'héroïne est nue dans une cage, ou des séquences en compagnie des naturalistes qui l'auscultent, la mesurent et lui trouvent des ressemblances avec le gorille. Mais, en comparaison, on finit par établir une gradation dans l'horreur. J'ai hésité à lui accorder le statut de victime pleine et entière au début du film. En la voyant dans la cuisine après le spectacle, l'air plutôt bien traité par les autres, je me suis demandée si elle n'était pas réellement une partenaire et si elle ne jouait pas la comédie.  

Plus loin, je me suis encore surprise à penser que les Français l'avaient un peu mieux traitée que les Anglais, parce que le public, composé d'aristocrates, était plus doux, et parce qu'en France, elle avait été autorisée à faire la preuve de ses talents artistiques.

Alors qu'en fait, naturellement, c'est faux : c'est le principe qui est indigne et peu importe les formes.

Un des tournants de l'histoire se produit peut être au moment où, face au tribunal anglais, Saartjie est appelée à témoigner sur ses conditions d'existence et indique se considérer comme une partenaire. Peut on dire qu'elle choisit alors son destin ? Y avait il réellement un choix ? Outre qu'elle avait dû être menacée et frappée auparavant, elle n'était sûre ni du public, ni du tribunal. Si elle avait appelé à l'aide, qu'aurait on fait pour elle ?

C'était peut être aussi une tentative désespérée de croire aux discours de son "propriétaire", qui lui avait promis la richesse et la liberté. De penser qu'elle était une artiste, vraiment.

Ou peut être qu'elle n'avait plus la force, tout simplement.

D'ailleurs, l'attitude du public du tribunal est ambivalente : très saine au départ sur la nature de l'exposition de Saartjie, puis virevoltante quand ils la rendent responsable de son malheur, en huant ses déclarations. Leurs bons sentiments semblaient finalement relever de ceux que, de nos jours, on a envers les animaux.

Viennent ensuite les scientifiques. A ce moment, le spectateur ignorant de l'histoire de la vraie Saartjie comprend que l'issue sera fatale. Saartjie meurt effectivement de maladie en 1815. Il y a des outrages dont on ne se remet pas.

Bien que regrettant les longueurs du film, il s'agit à mon sens pourtant d'une belle réhabilitation et d'un hymne à la tolérance.

 

 

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