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Maelig
12 octobre 2014

Ma mirifique recherche d'emploi

Vendredi, 10 h 30. Sur ma boîte mail, un message " Bjr, Votre profil a retenu mon attention. pourions nous joindre téléphoniquement pour évoquer votre recherche et mes attentes. Je suis en restructuration. vous pouvez me joindre en fin d'après midi."

Un mot en abrégé, une faute d'orthographe et une majuscule sur deux. Je dirais une personnalité pressée, surmenée, avec un certain ego. Une restructuration peut-être permanente. Mais peut-être aussi, une certaine souplesse et des possibilités d'emploi. Allez savoir.....

Vendredi, 17 h 30. "Votre correspondant est en ligne, veuillez laisser un message."
Vendredi, 17 h 45. "Votre correspondant est en ligne, veuillez laisser un message."
Vendredi, 18 h. "Votre correspondant est en ligne...."

Elles sont longues, les conversations, dans ce cabinet.

Vendredi, 18 H 10, enfin  "Allo, bonjour."
- "Oui, bonjour, Mademoiselle A, je cherche à joindre Me G"
(une voix impatiente) "C'est moi."
- " Bonjour, enchantée, vous m'avez demandé de vous rappeler."
-"Oui."
(mais encore ?)
-"Vous recherchez un collaborateur ?"
-"Oui."
(Fort bien....)
- "Et vous êtes en restructuration ?"
-"Oui." (voix encore plus sèche et fermée) "Du fait que je recherche un collaborateur."
Alors que jusqu'à présent, elle semblait très réticente à parler de sa propre structure, soudain, elle sort de sa réserve, prend l'avantage et me bombarde de questions.

-"Vous développez une clientèle ?"
Je lui explique que oui, je commence, que j'ai eu quelques opportunités récemment. Mais que cela reste encore modeste.
-"Ce n'est pas l'impression que dégageait votre profil. Quels domaines ?"
Je m'exécute.
-"Quels sont vos projets ? Vos intentions ?"
Je développe.
-"Ah oui, mais vous devriez penser à ceci, à cela."
-" Pourquoi rechercher un temps partiel ?"
-"Comment travaillez vous ? Parce que vous devez vous connaître, depuis le temps que vous travaillez.... Autonomie ou non ?"
-"Vous diriez que vous êtes rapide ?"
-"Petites ou grandes structures ?"
-"Vous êtes disponible quand ?"
-"Pourquoi quitter votre cabinet, après trois ans ?"
La communication est mauvaise, je lui demande de bien vouloir répéter, ce qui semble l'offusquer.
-"Soyons clairs et précis, vous êtes restée trois ans dans le même endroit, pourquoi le quitter ?"
-"Votre expérience, elle est répétitive."

Moi la timide, j'ai le coeur qui bat sous ce flot de questions, prononcées sur un ton condescendant, mais je me défends, et même, oserais-je le dire, plutôt bien. D'ailleurs, au fur et à mesure de mes réponses, je la sens se détendre, devenir parfois plus aimable. Je reste honnête sans me survaloriser, mais je connais mes qualités et les annonce (mes défauts aussi, mais je les annonce moins). Et je me bats, pied à pied. Je dois reconnaître que j'ai évolué ces dernières années, il y a trois ans, je n'en aurais probablement pas été capable.
En même temps, elle m'énerve.
"Pourquoi est ce que je quitte mon cabinet ? Parce qu'il déménage. Je pense que c'est suffisamment clair et précis."

Elle consent enfin à se dévoiler un peu plus. Elle voulait cerner la personnalité du candidat avant de donner ses propres attentes. Bon, je peux le comprendre.

"Je travaille en droit .... je cherche un collaborateur qui travaillerait sous mes directives, c'est un domaine complexe, des dossiers qui durent dix ans, de grands enjeux. Ce n'est jamais pareil, jamais. On ne peut pas s'attendre à quoi que ce soit, ni se reposer sur une précédente expérience. C'est pour ça que quelqu'un qui aurait trop d'expérience pourrait être formaté, aussi"
"Votre expérience, elle me fait un peu peur."

Je joue encore un peu le jeu et cherche à la rassurer.

"J'ai pris de l'autonomie parce que je travaillais sur des dossiers qui me le permettaient, mais je suis quelqu'un de souple et je m'adapte. Je ne prendrai pas d'autonomie sur des domaines que j'ignore."

Mais j'ai déjà pris ma décision.

"Vous recherchez un collaborateur qui disposerait déjà d'une expérience préalable dans votre domaine ?"

"Ah ben, j'avoue que cela me faciliterait la vie" (voix presque fâchée) "j'ai besoin de quelqu'un qui comprenne vite, à qui il ne faille pas répéter dix fois la même chose."

Bon, pourquoi elle m'a appelée ? Mon expérience lui fait peur, je n'ai jamais travaillé son domaine, je cherche un temps partiel alors que visiblement, pas elle, mais elle n'est pas fichue de me le dire clairement. Elle veut quelqu'un d'expérimenté mais pas trop....

"Mais on peut apprendre beaucoup dans mon domaine, c'est passionnant."

Tiens, enfin un truc de positif. J'étais en train de me dire qu'elle cherchait à me faire fuir.

Prenant une grande inspiration, je me remémore un entretien, il y a trois ans, où je m'étais fait laminer pendant une heure et demi alors que de toute façon, je n'avais absolument pas envie d'être retenue : c'était très loin de chez moi, j'aurai dû déménager et mettre en péril tous mes projets de vie privée, et l'ambiance que je pressentais du cabinet ne m'enthousiasmait pas. Dans ces conditions, pourquoi accepter de me faire laminer pendant une heure et demi, et pourquoi en avoir peur ?

"Je pense que vous gagneriez à recruter un collaborateur qui disposerait déjà d'une expérience dans le domaine que vous recherchiez."

Silence au bout du fil. "J'en déduis que ce que je vous propose ne vous intéresse pas ?"

Je ne dirais pas cela. Même pas du tout en fait. Je n'ai rien contre son domaine, je ne le connais pas mais je ne perdrai de toute façon rien à essayer. C'est elle qui me fait fuir. Rien que l'idée de la rencontrer en entretien me fait soupirer, alors travailler au quotidien avec elle.... Mais je ne peux pas lui dire, alors :

"Je crois que je recherche quelque chose de plus généraliste."

Elle me demande de préciser, je m'exécute, mais sans revenir sur ma décision. Elle n'apprécie pas.

"Après tout, ce n'est pas moi qui ai une carrière à construire. Mais pensez y, il y a du travail dans ce domaine."

C'est amusant, les complexes de supériorité que peuvent développer certaines personnes. Pourquoi, au fait ? Un titre aristocratique ? La Révolution a déjà plus de deux cent ans. Un diplôme d'une profession intellectuelle ? Mais l'éducation est accessible à tous, de nos jours, et il y a de très nombreux diplômés qui crèvent la faim. Soyons francs, l'instruction, les relations, ne sont valables que dans la mesure où ils peuvent permettre de parvenir à un but : bien vivre. Voire être riche. Mais on peut même être riche sans instruction et sans relations. Il faut un peu de chances et la rencontre des bonnes personnes, du moins, d'une bonne personne. Alors, j'espère qu'elle est riche, au moins.

 J'acquiesce avec bonhomie, mais une seconde fois, je mets fin à l'entretien

"Je vous remercie de m'avoir contactée et je vous souhaite une excellente continuation."

Voilà, pour la première fois de ma vie, j'ai mis fin à un entretien. J'ai perdu une occasion de faire mes preuves et peut être de décrocher un boulot. Je pourrai être considérée comme une peureuse (je fuis à la première question qui me met en difficulté) ou bien comme une fainéante (est ce que je tiens vraiment à avoir un boulot ?), ou encore comme une arrogante, une fille qui manque d'humilité. C'est d'ailleurs pour ce que m'a prise cette dame.

Le pire, c'est que je suis tout sauf cela. Depuis le début de ma carrière professionnelle, j'ai accepté beaucoup de choses. Accepter un pseudo contrat en tout début de carrière, qui me laissait à la merci d'un renvoi à n'importe quel moment. Commencer tôt, finir tard, être finalement peu payée. Partir encore plus tôt pour marcher aller chercher le courrier du cabinet. Me faire disputer pafois de manière injustifiée (je ne dis pas que c'était toujours injustifié. Cela pouvait l'être.). J'ai beaucoup de défauts, mais je pense que je suis une fille souple, et humble. D'autres, en début de carrière, refusaient un 4/5 à 1800 € HT. Personnellement, pensant que mieux fallait un 4/5 à ce tarif que rien du tout, et que ce qui comptait, c'était d'accumuler de l'expérience, j'aurai pris sans hésiter. Et aujourd'hui, je ne le regrette pas. Accepter cet étrange contrat m'a permis d'en obtenir un plus stable, et a réduit ma période de recherche d'emploi il y a trois ans. J'ai accepté une lourde charge de travail mais j'y ai beaucoup appris et au final, j'ai aussi été soutenue par ma hiérarchie actuelle, lors des erreurs que j'ai pu faire et à présent que je m'apprête à partir. Et j'ai acquis une expérience. Qui vaut ce qu'elle vaut, qui, oui, est peut-être répétitive, et en tout cas est insuffisante pour pouvoir réellement me prétendre avocat, mais que je ne regrette pas. Qui m'a rendue plus débrouillarde et plus à l'aise dans la gestion d'une procédure.

Mais je grandis. J'en ai assez de tout accepter, je ne sais pas si je pourrai refaire ce que j'ai fait. Je commence à repérer aussi certaines caractéristiques de la profession, à sentir quelles expériences, de toute façon, pourraient mal tourner. Je me montre plus sélective. Pour la première fois, ce n'est plus seulement le recruteur qui me choisit, mais aussi moi qui dispose d'un pouvoir de décision. Et je ne me sens pas inférieure sous prétexte que je recherche un emploi, comme cette dame voudrait me le faire croire. On passe tous par cette case.....

 

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