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Maelig
17 novembre 2007

Raspoutine

Dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916, à St Pétersbourg, disparut le géant barbu qui règnait, depuis 13 180px_Rasputin_ptans sur une Russie en crise. Grigori Raspoutine n'était plus. Attiré par une invitation du Prince Youssoupov, un cousin du tsar, et espérant pouvoir s'entretenir avec sa ravissante épouse Irène, il s'était rendu en son palais. Félix le reçut seul, chaleureusement mais quelque peu nerveusement, puisqu'il savait que le  Starets devait mourir ce soir. L'exquis repas qu'il lui servit lui même était truffé de cyanure, et à l'étage, le Prince Dimitri Romanov, meilleur ami de Youssoupov, le capitaine Soukhotine, et le député d'extrême droite Pourichkevitch attendaient le trépas. A leur grand désarroi pourtant, Raspoutine engloutit pendant deux heures des gâteaux au cyanure sans paraître en ressentir la moindre gêne. Le beau Félix s'affola. Au premier étage, son valet, Vassili, versait de la vodka aux conjurés pour les remonter. Pour en finir, Youssoupov prit le pistolet par un de ses amis et tira. Raspoutine s'effondra sur un tapis en peau d'ours, touché au coeur. Du moins les assassins soulagés l'ont ils cru tandis qu'ils descendaient tranquillement au salon en discutant de la manière de sortir le corps. Soudain, nouveau coup de théâtre : Grigori se redressa et bondit sur Félix qu'il tenta d'étrangler :
"Felix ! Felix !" hurlait une voix caverneuse. "Je le dirai à la tsarine, Félix !" A nouveau paniqué, le Prince laissa sa victime s'enfuir par la cour d'honneur du Palais où un autre conjuré l'abattit finalement à coup de revolver. L'identité du meurtrier final est mal connue, mais on pense au grand duc Dimitri. En tant que membre de la famille impériale, il prenait moins de risques que les autres, et de plus, c'était un tireur adroit.
Aucun des participants au meurtre ne put oublier le regard de bête blessée de Raspoutine tandis qu'on chargeait son corps dans une voiture pour le précipiter dans la Neva. Pourtant, l'autopsie a révélé la présence d'eau dans ses poumons, ce qui signifie qu'il aurait été encore vivant au moment d'être immergé.
Le tsar, déjà impopulaire, ne prit pas le risque d'un procès qui aurait mécontenté la Cour et une partie du peuple. Félix fut simplement banni sur ses terres et le grand duc Dimitri Pavlovitch exilé en Perse (ce qui d'ailleurs les sauva au moment de la Révolution.)

Alors, comment expliquer cette extraordinaire résistance au poison puis aux balles ? Selon une source, celui qui était chargé de verser le poison dans la nourriture, n'aurait pas voulu, au dernier moment, charger son âme d'un pareil péché. D'autre explications plus scientifiques seraient
- que l'impressionnante quantité de sucreries que le Starets engloutissait chaque jour l'aurait protégé des effets du cyanure.
- que les effets du cyanure incorporé à des gâteaux cuits soient amoindris.
Il doit sûrement à sa constitution solide de l'avoir protégé un temps des balles. Mais l'imagination populaire, qui a d'ailleurs exagéré la légende de sa résistance physique, n'avait pas tardé à le qualifier d'immortel. Les jours suivant le drame, on venait de loin pour recueillir l'eau dans laquelle Raspoutine serait mort, en espérant s'approprier un peu de son pouvoir magique.

Et pourquoi tant de haine contre lui ? Grigori avait pris une importance démesurée auprès de la tsarine. Il soignait Alexis, au besoin par téléphone, comme ce soir où l'enfant, souffrant d'une oreille, ne parvenait pas c0b48158à dormir.
"Allons, Aliochenka," murmurait Raspoutine dans l'écouteur. "Tu veilles encore à une heure pareille ? Je te le dis, ta petite oreille va maintenant très bien, dors."
Un quart d'heure plus tard, le petit dormait bel et bien.
Ses paroles chrétiennes, tirées de sa grande connaissance des textes sacrés, reposaient la tsarine, éprise d'authentique et mal intégrée à la vie mondaine de la Cour. Avec le temps, servi par son incroyable naturel, il s'était permis de donner des conseils politiques, de se montrer à la fois protecteur et un peu condescendant envers la Famille.
Il guérissait Alexis, et ses prédictions se révélaient parfois exactes : par exemple, il avait prédit la mort de Slotypine, le ministre réformateur de Nicolas II. Pour certains, ses dons s'expliquent. Le petit tsarévitch était soigné à l'aspirine dont la médecine de l'époque ignorait les propriétés anticoagulantes et donc aggravantes de l'hémophilie. Le simple fait de bousculer les remèdes traditionnels ne pouvait donc qu'améliorer son état.
Quant à Slotypine, il n'était pas si difficile, au vu du contexte politique et de l'impopularité du ministre, de prévoir son assassinat.

Nicolas acceptait tant bien que mal son influence pour complaire à Alix et Alexis. Pourtant, le moujik crasseux ne donnait pas de si mauvais conseils : en 1909, il convainquit le tsar de ne pas se lancer trop avant dans l'affaire des Balkans, conflit qui aurait pu être étendu à toute l'Europe. Pour lui, au contraire de230px_Ww_nicholas_01 tout le reste du clan Romanov, l'armée russe était insuffisamment remise de l'échec de 1905 (guerre contre le Japon) pour se permettre un nouveau conflit. Quelques années plus tard, il passa pour espion allemand pour s'être prononcé contre l'entrée en guerre de la Russie.
Les aristocrates, se sentant dédaignés par le pouvoir, haïssaient Raspoutine et des rapports de police des plus édifiants parvenaient au tsar : lors d'une soirée, en 1915, le Père Grigori aurait été pris d'une sorte de folie à "connotation sexuelle". Il aurait dénudé ses organes génitaux et aurait continué à converser en cette tenue avec ses invitées, leur distribuant des maximes telles que "Aime d'un amour désintéressé".
Néanmoins, et le Starets l'avait bien senti, chacune de ses provocations renforçaient la confiance de Nicolas et d'Alexandra envers lui. Ils ne croyaient pas un mot des colportages de la Cour, imaginant plutôt autant de complots contre le pauvre et pieux moujik. En conviant la presse à ses spectacles obscènes, il anéantissait ses ennemis dont les flèches se retournaient contre eux.

Comment expliquer un tel pouvoir ? La Russie, éprise de mysticisme, accordait alors un grand crédit aux mages errants, souvent simples d'esprit, dans la folie desquels on voyait la main de Dieu. Raspoutine, humbler4 paysan du petit village de Pokrovskoie, est fils de fermiers ivrognes et devient très jeune orphelin de mère. Jeune homme, il perd son frère dans un accident et traverse des périodes de dépression intenses. En 1894, il a 30 ans et mène une vie de petits vols et de fornication quand il rencontre un étudiant séminariste. Sa vie s'en trouve bouleversée : il se lance dans de grands pèlerinages vers Kiev, où il attire les foules. Des grandes duchesses originaires du Monténégro le font venir à St Pétersbourg dès 1903, et quelques mois plus tard, le présentent à la tsarine. Alexandra est fragile, et déjà sa mère anglaise, Alice, subissait l'influence d'un prêtre qui préfigurait celle de Raspoutine. Elle croit aux pouvoirs magiques de cet homme depuis qu'un guérisseur français, Philippe, lui a annoncé auprès d'elle la venue d'un personnage exceptionnel.

Sources :
-Edvard Radzinski, Nicolas II, le dernier des tsars : source également de mon article "La fin des Romanov."
-Wikipédia
-Jacqueline Monsigny, les Filles du tsar (roman)

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