Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Maelig
4 août 2013

La Rose Blanche

Munich, 18 février 1943. Le soleil brillait déjà en cette fin d'hiver, mais l'air demeurait encore frais. En ce début de matinée, les rues étaient peu fréquentées ; chacun avait déjà rejoint son emploi et l'époque n'était ni aux vacances, ni à la flânerie. C'était la guerre et la bataille de Stalingrad, qui n'était pas encore achevée, avait marqué de son empreinte l'Allemagne entière.
A l'université Ludwig et Maximilian aussi, les couloirs étaient presque déserts. Les étudiants avaient déjà rejoint leurs amphithéâtres, sauf quelques uns.

Comme ces deux jeunes gens qui entraient d'un pas pressé dans la cour intérieure. Lui était grand et de belle allure, elle était petite et menue, visiblement plus jeune.  Leurs habits discrets les faisaient passer inaperçus, mais cette discrétion était démentie par la courte chevelure noire ébouriffée de la jeune fille, par la prestance quasi arrogante du garçon.  Tous deux portaient de larges valises.

will graf

Ils ne parlaient pas, semblaient pressés mais pour autant, sans rentrer dans un amphithéâtre comme l'auraient fait des étudiants arrivés en retard. Parvenus au premier étage, ils ouvrirent leurs valises et en firent glisser des documents de petite taille, qu'ils déposèrent par paquets un peu partout à l'étage. Puis, ils montèrent au deuxième, et firent de même. Leurs valises presques vides, ils s'apprêtaient à repartir.

De loin, un autre groupe les avait vus. Will Graf et son amie Traute Lafrenz avaient quitté plus tôt le cours de philosophie du Professeur Huber pour se rendre au cours de médecine du Professeur Bumke, qui avait lieu à l'extérieur de l'université, dans des locaux du coeur de la ville. Au premier étage, ils se rencontrèrent :

-"Hello !"

-"Hello ! Tout va bien ? Nous repartons, Sophie se rend à Ulm." fit le jeune homme, visiblement embarrassé.

-"Bonne journée alors et soyez prudents", reprit Will avant d'entraîner Traute vers les escaliers.

A l'extérieur du bâtiment, il ne put s'empêcher de marmonner : "il est fou ! Se rend il compte des risques qu'il prend, du fait qu'il nous mette tous en danger ? Je ne veux plus, absolument plus, avoir affaire à lui à partir de maintenant ! Cet imbécile nous ferait tous exécuter !"

Traute était plus circonspecte. "Il faut y croire, Will. La guerre se terminera, le régime se renversera. Les étudiants se révolteront. Regarde ce qui est arrivé le mois dernier..."

"Les étudiants se révolteront peut être mais nous risquons tous de ne plus être là pour le voir !"

De leurs côtés, leurs valises pratiquement vides, le garçon et la jeune fille s'apprêtaient à quitter les lieux, quand soudain, elle le retint par le bras :

"Hans ! Il en reste encore !"

Elle hocha la tête et désigna une des valises.

"Encore ?" Il jeta un coup d'oeil rapide autour de lui. L'affaire allait devenir plus dangereuse. Les cours se terminaient bientôt, et les étudiants du premier commençaient

sophie scholl

à quitter les salles. Mais au troisième, rien ne bougeait encore.

"Viens." Ils escaladèrent une nouvelle fois rapidement les marches, et, au troisième étage, déposèrent leurs derniers tracts. Satisfaits, mais le coeur battant, ils allaient s'en aller, cette fois, lorsque Sophie, prise d'une impulsion subite, jeta une liasse de tracts du haut de la cour intérieure. Les papiers se répandirent à terre, et quelques étudiants s'en saisirent.

Le contenu en était explicite, et cruellement dangereux pour leurs auteurs, en temps de guerre :

"Etudiants, étudiantes ! La défaite de Stalingrad a jeté notre peuple dans la stupeur. La vie de trois cent mille Allemands, voilà ce qu'à coûté la stratégie géniale de ce soldat de deuxième classe promu général des armées. Furher, nous te remerciions !

Le peuple allemand s'inquiète : allons nous continuer de confier le sort de nos troupes à un dillettante ? Allons nous sacrifier les dernières forces vives du pays aux plus bas instincts d'hégémonie d'une clique d'hommes de parti ? Jamais plus : Le jour est venu de demander des comptes à la plus excécrable tyrannie que ce peuple ait jamais endurée. Au nom de la jeunesse allemande, nous exigeons de l'Etat d'Adolf Hitler le retour à la liberté personnelle ; nous voulons reprendre possession de ce qui est à nous ; notre pays, prétexte pour nous tromper si honeureusement, nous appartient."

Naturellement, la jeune fille s'enfuit, mais au loin, une voix avait rejailli.

"Arrêtez ! Arrêtez vous ! Je vous ai vus, vous êtes en état d'arrestation !"

C'était le concierge de l'université, des yeux fidèles et loyaux au service du national socialisme, et des jambes courtes qui les rattrapaient, une main qui empoignait Hans. Il aurait pu le repousser, s'enfuir, mais il ne le tenta même pas, et Sophie resta près de lui.

"Vos papiers ?"

Calmement, les jeunes gens mirent la main à leur poche, en sortirent des cartes d'identité.

"Hans Scholl, d'Ulm ? et Sophia Magdalena Scholl, d'Ulm ? Frère et soeur ?"

HansScholl

On les emmena à la présidence, qui déjà avait appelé la Gestapo. Très vite, ses hommes firent fermer l'université. Dans la cour intérieure, les étudiants se taisaient, anxieux, en regardant Hans et Sophie descendre les marches du grand escalier, encadrés par les hommes aux longs pardessus noirs. A eux aussi, on contrôlait les papiers, certains étaient arrêtés pour interrogatoire.

Parvenu devant une jeune fille aux nattes claires et au regard effrayé, Hans s'écria : "Dis lui qu'il ne m'attende pas pour déjeuner !"

La jeune fille, Gisela Scherling, fut elle aussi immédiatement arrêtée.

A l'extérieur, un jeune homme brun, au regard vif et intelligent, fumait la pipe tranquillement. Il semblait attendre quelques camarades. En entendant le vacarme à l'intérieur de l'université, il y risqua un coup d'oeil rapide, qui lui fut suffisant pour prendre conscience de la gravité de la situation.

Très vite, il referma la porte et disparut par le prochain bus, qui commençait à se remplir de gens sortant déjeuner. Alexander Schmorell, camarade d'université d'Hans Scholl et de Will Graf, ami également de Sophie et Traute, savait qu'il devait disparaître, très vite.

******************************************************************************

Quatre jours plus tard, le 22 février 1943, à l'issue d'un procès éclair qui ressemblait davantage à une mascarade, Hans, étudiant en médecine de 4ème année, âgé de 24 ans, et sa soeur Sophie, 21 ans, qui étudiait la philosophie et la biologie depuis un an, ont été condamnés à mort, et exécutés le même jour, à 5 heures du soir. Un de leurs amis, Christopher Probst, 24 ans, arrêté le 19 février 1943, a été condamné et exécuté en même temps qu'eux. On avait trouvé sur Hans le brouillon du tract suivant, écrit de la main de Christopher. Et dans la chambre d'Hans, on avait trouvé une lettre de la même écriture et signée.

Le 18 février, à minuit, Will Graf et sa soeur Annelies qui partageait son appartement ont été également arrêtés. Le 24 février, c'était le tour d'Alexander Schmorell, arrêté après avoir échoué à passer en Suisse par les montagnes, à cause des trop fortes neiges. Il avait été dénoncé par une de ses anciennes petites amies.

Le Professeur Kurt Huber, philosophe réputé de l'université et rédacteur des derniers tracts de la Rose Blanche, fut dénoncé par Gisela Scherling.

Le 19 avril 1943, le deuxième procès de la Rose Blanche condamna à mort Kurt Huber, Alexander Schmorell et Will Graf. Les deux premiers furent exécutés le 13 juillet suivant, le troisième le 12 octobre. D'autres sympathisants et soutiens financiers, dont Traute Lafrenz et Gisela Scherling, furent condamnés à des peines d'emprisonnement. Entre temps, cette dernière, terrorisée, avait dénoncé les membres dont elle avait connaissance.

C'était la fin du mouvement de résistance étudiante qui s'était lui même nommé la Rose Blanche et qui, depuis le printemps 1942, avait  rédigé six tracts appelant les étudiants à se rebeller contre l'emprise hitlérienne et à recouvrer leur liberté de pensée.  Ces tracts dénonçaient l'extermination juive  ("Notre dessein n'est pas d'étudier ici la question juive. Nous ne voulons présenter aucun plaidoyer. Qu'on nous permette seulement de rapporter un fait : depuis la mainmise sur la Pologne, 300 000 juifs de ce pays ont été abattus comme des bêtes. C'est là le crime le plus abominable perpétré contre la dignité humaine, et aucun autre dans l'histoire ne saurait lui être comparé.") et s'insurgeaient contre le national socialisme ("on ne peut pas discuter du nazisme, ni s'opposer à lui par une démarche de l'esprit, car il n'a rien d'une doctrine spirituelle")

Ces tracts avaient été adressés par la Poste à des intellectuels, journalistes, écrivains dans l'Allemagne entière, en espérant qu'ils seraient recopiés et diffusés à leur tour dans d'autres villes. Ils avaient aussi été déposés dans des lieux publics, les trottoirs, les cabines téléphoniques et les voitures à l'arrêt, autour des gares des grandes villes étudiantes allemandes. Si les premiers n'avaient été diffusés qu'à une centaine d'exemplaires, les deux derniers avaient connu une diffusion bien plus large, à plus de deux mille

220PX-~2

exemplaires chacun.

La Rose Blanche, de manière un peu chimérique certes, espérait que les étudiants se soulèveraient et renverseraient le régime nazi. Le mouvement avait été encouragé par les événements du 13 janvier 1943, où des étudiants s'étaient révoltés à la suite du discours d'un dignitaire nazi, Giesler, qui avait appelé les jeunes filles à abandonner leurs études pour donner plutôt un enfant au Fürher. Et pour les moins belles, avait il ajouté, celles qui ne trouveraient pas de mari, il était prêt à leur laisser quelques uns de ses ordonnances !

Les étudiantes s'étaient rebellées, certaines avaient quitté la salle. Un cri s'était élevé : "Nous ne laisserons pas insulter nos camarades !" La Gestapo s'était avancé pour arrêter les filles qui s'étaient révoltées, mais les garçons s'étaient à leur tour unis contre la police, des tracts s'étaient envolés et un défilé se formait. Sur les murs, des mains traçaient : "vive la liberté !"

Encouragée, la Rose Blanche avait pris de plus en plus d'assurance, et trois soirs de suite au mois de février 1943, avait peint sur les murs les signes "A bas Hitler !" et "vive la liberté !" Elle avait aussi tenté d'élargir son action et noué des contacts d'avec d'autres mouvements de résistance allemande, dont celui de l'Orchestre Rouge.

La Gestapo était sur leurs traces depuis les premiers temps, mais enrageait de ne pouvoir les intercepter. Jusqu'à ce matin du 18 février 1943....

Le soir de leur exécution, un résistant allemand en exil, Thomas Mann, leur rendit hommage sur les ondes de la BBC. Et, à l'été 1943, l'armée britannique dispersa leur dernier tract, reproduit à des milliers d'exemplaires.

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité