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Maelig
13 avril 2014

Rambouillet, 02 juin 1955. Le soleil

Rambouillet, 02 juin 1955. Le soleil resplendissait sur la terrasse de la résidence des Galli.

"Tu dis qu'elle est.... allemande ?" marmonnait une vieille dame aux cheveux argentés, vêtue d'une robe d'été blanche fleurie de bleue.

A côté d'elle, sa fille, une quinquagénaire blonde, à la figure pâle.

"Paul, mon chéri, crois-tu vraiment que cette jeune personne soit pour toi une relation idéale ? Les circonstances.... Souviens toi de ton grand père...."

Paul, complet de lin gris, chemise blanche décontractée, fit la grimace.

"Mère ! La guerre est finie, il n'y a aucune raison que nous n'accueillions pas comme il se doit Elisa.....Nous allons nous marier."

Paul, 30 ans, directeur d'une petite maison d'édition parisienne qu'il avait héritée de son père, venait d'annoncer sa décision à sa famille, et il s'attendait à des réactions de ce genre. La guerre était peut être finie,mais son père avait perdu la vie dès les premiers combats à Dunkerque, et son grand père dans la Résistance. Lui même, à l'époque presque adolescent, terminait ses études et passait des messages à bicyclette. Il avait vu beaucoup de drames, et il n'y avait que 10 ans que la paix était revenue... Seulement 10 ans.

Certes, il n'appréciait pas les Allemands, mais pas au point de ne pas embaucher Elisa, diplômée de littérature de l'université de Munich, qui maîtrisait parfaitement 4 langues, y compris le russe, et qui disposait déjà d'une expérience d'un an dans une autre maison parisienne. Elisa qui avait bouleversé sa vie. Assistante de direction dans sa société depuis un an, elle était cultivée, discrète et efficace. Les premiers temps, il avait à peine remarqué sa présence. Ne s'était pas attardée sur sa nationalité. Sa maîtrise du français était impeccable et son accent à peine perceptible.

Il avait fallu cette soirée au Ritz, où il avait emmené quelques uns de ses auteurs, et où il avait proposé à Elisa de l'accompagner. Après le départ des écrivains, ils avaient prolongé leur soirée au champagne et aux petits fours, avaient ri et discuté littérature jusqu'au petit matin. C'est ce soir là qu'il avait su qu'il était amoureux d'elle.

Quelques semaines plus tard, ils étaient fiancés, et voilà qu'il se retrouvait à l'annoncer à sa famille. En réalité, il ne savait que peu de choses d'Elisa. Sinon qu'il l'aimait comme jamais il n'avait été amoureux, lui le papillonneur depuis l'université de la Sorbonne où il avait étudié l'histoire.

"Je vous la présente la semaine prochaine."

Effectivement, le samedi suivant, la voiture de Paul se garait dans l'entrée de la demeure familiale. Elisa, splendide blonde germanique, avait revêtu une fine robe de toile blanche et des sandales assorties. Paul lui trouvait l'air virginal. Lui même ne déparait pas, élégamment vêtu d'un pull bleu ciel, en lin.

Mère, de son prénom Emma, et Grand Mère étaient au rendez vous, et la famille s'était complétée de Berthe, la tante indépendante et tumultueuse, et de Vincent, le petit frère tout aussi ravageur.

Berthe ne partageait pas les a prioris de sa mère et de sa soeur. Adolescente, elle avait quitté la famille, en révolte, pour devenir infirmière durant la première guerre mondiale. Dans les années 30, elle avait été passionnément amoureuse d'un Allemand et avait envisagé de le suivre à Berlin pour l'épouser. Malheureusement, impliqué dans les prémices de la lutte anti nazisme, il avait péri dans les premiers camps de concentration, en 1934. Elle même était rescapée de Dachau mais elle savait qu'être allemand ne signifie pas être nazi et ne tenait pas rancune de la guerre au peuple lui même.

Vincent, encore étudiant en économie, n'avait que 20 ans, mais il était déjà d'une beauté à couper le souffle. C'était un charmeur, amateur de femmes, qui devait venir travailler avec Paul une fois ses études terminées, mais qui préférait manifestement se produire comme pianiste de jazz, le soir à Menilmontant, ou sur les Buttes Chaumont.

"Entrez, mes enfants !" gazouilla Emma. Souriante, elle tendit la main à Elisa. "Mon enfant, que vous êtes charmante !"

Elisa lui rendit son sourire, mais demeura silencieuse. Depuis son arrivée en France, elle avait parfois été en butte à la rancoeur de la population, et elle n'ignorait pas les réticences de sa future belle mère à son encontre. C'est donc mal à l'aise qu'elle embrassa sur la joue Berthe et Vincent et qu'elle fut admise dans l'intimité de la demeure familiale dont elle avait tant entendu parler depuis quelques semaines.

La grand mère de Paul, Maisie comme l'appelait affectueusement la famille, l'impressionna particulièrement. Paul lui avait raconté que cette femme avait joué un rôle dans un réseau de Résistance de la région, douze ans auparavant, et que son époux y avait perdu la vie. L'âge ne lui ôtait d'ailleurs ni sa vivacité d'esprit, ni sa langue bien pendue.

"Alors, comme cela, vous êtes Allemande ?" attaqua-t-elle, alors que l'employé de maison, réquisitionné un samedi pour l'occasion, servait la viande. "Depuis combien de temps êtes vous en France ?"

"Quatre ans."

"Et vous avez quel âge ?"

"32 ans."

La vieille dame n'avait pas l'intention de s'avouer satisfaite pour autant, ni découragée par le mutisme de la jeune femme.

"Et quelle raison pousse une jeune et jolie allemande à quitter son pays ? Que faîtes vous du patriotisme ?"

"Grand Maman", s'insurgea Paul. "Ne pourrais tu pas laisser Elisa tranquille ?"

La jeune femme avait blêmi.

"Bien entendu, voyons," fit l'aïeule mielleuse.

"Et sinon", lança Emma, dans le but avoué et maladroit de détendre l'atmosphère, "quels sont vos projets littéraires à tous les deux ?"

Le repas se poursuivit sans autre incident, mais dans l'après midi, avec des airs de conspiratrice, Maisie attira Paul dans la cuisine.

"Mon petit, laisse moi te dire que tu devais changer de fiancée ! Je ne peux t'en dire plus mais cette femme ne me dit rien qui vaille. Elle cache des mystères, je te dis, des choses louches !"

"Grand mère, voyons..." fit le jeune homme. "Raisonne toi."

Vincent, qui venait d'entrer et avait entendu leur conversation, ne put s'empêcher de rire sous cape. "Des mystères louches.... Grand Mère en plein roman policier."

"Tu ne sais rien, petit, tu ne sais rien, tu es trop jeune !"

La conversation fut interrompue par Berthe et Elisa qui entraient en devisant. La jeune allemande s'était sentie plus à l'aise avec la tante de Paul qu'avec le reste de la famille. La journée d'été fut magnifique, se poursuivant par une promenade en ville et en forêt, à laquelle Maisie, prétextant une migraine, ne participa pas.

Le soir venu, elle ne se présenta pas non plus à table.

"Quelqu'un sait il où est Maisie ?" demanda Emma le lendemain matin. "Je ne l'ai pas encore vue, ce matin."

"Elle doit dormir encore," fit Paul.

"Mais il est plus de dix heures, cela ne lui ressemble pas, même un dimanche..."

A la radio, l'animateur relatait le tragique accident survenu quelques jours plus tôt aux 24 heures du Mans, où 82 personnes avaient perdu la vie. Mais dans la famille, personne n'écoutait. Les paroles d'Emma avaient fait jaillir une sourde inquiétude au sujet de la santé de Maisiequi après tout était âgée de plus de 80 ans.

"Je vais voir dans sa chambre", se leva Emma.

Elle gravit l'escalier, et quelques instants plus tard, un hurlement jaillit. Maisie gisait dans son lit, le tient pâle. Manifestement, elle était morte. A côté d'elle, une tasse de thé à demi bue.

Emma, agenouillée au pied du lit, tremblante, semblait en proie à une crise de nerfs.

Efficace, Berthe écarta sa soeur, l'entourant de ses bras, pour l'asseoir dans sa chambre. En partant, elle fit signe à Paul d'appeler le médecin.

Vingt minutes plus tard, l'homme de l'art, médecin de la famille depuis vingt ans, signait l'avis de décès d'Alice Morel, dite Maisie.

"C'est étrange," commenta-t-il pour Paul, Vincent et Elisa, qui étaient demeurés près du cadavre. "Votre grand mère était en parfaite santé. Certes, elle était âgée, mais elle ne semblait pas destinée à s'en aller si vite. Et cette tasse à côté d'elle..."

Il prit la coupe, demeurée sur la table de chevet.

"Elle a contenu à coup sûr son médicament habituel pour dormir, mais la couleur est plus blanche. Permettez vous que je l'emporte pour l'examiner ?"

Paul et Vincent opinèrent. Touché à vif, car il adorait son aïeule, Paul ne se rendit pas travailler le lendemain, et Elisa demeura à son côté.

 

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